mardi 8 novembre 2011

Korékro 57 # 2

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Début 1954, mon père F. a pris en main une plantation de café de 100 hectares, à 25km de Bocanda... sur la route de Ouellé. On quittait la route de terre rouge latérite, on prenait une piste étroite qui montait à travers les caféiers et débouchait à 300 mètres sur les habitations de la plantation Korékro.

A notre installation, mon père dut débroussailler, avec l'aide de manœuvres, les lieux délaissés depuis longtemps. Il récoltait les baies dites cerises, les faisait sécher sur des terrasses de ciment, avant de les décortiquer à l'aide d'une machine sous les hangars et ainsi mettre en sac, les grains de café. La récolte étant insuffisante, il partait avec son camion Renault Galion dans les campements alentours et achetait aux paysans leurs petites productions. Il revendait le tout à de plus importants négociants.


Au cœur de la plantation de café, s'élevaient et s'étendaient notre maison, la boutique, le château d'eau et sa citerne, le poulailler et l'abri des chèvres, les habitations des manœuvres et les hangars pour le café. La boutique, toute petite pièce, était tenue par Touré qui vendait aux paysans des campements, les produits de première nécessité comme le sucre, le savon, les allumettes, des cigarettes à l'unité, de l'huile de palme, des machettes, des lampes tempêtes.

Pour mieux se faire comprendre des paysans avec lesquels F. faisait du petit commerce, il avait appris le baoulé, la langue de l'ethnie Baoulé qui habite les savanes s'étendant entre le fleuve Bandama et le fleuve N'zi. Mon père s'était confectionné un dictionnaire des mots qu'il employait (aujourd'hui disparu dans les nombreux déménagements) Le matin vers 10h, les paysans voisins de la plantation s'asseyaient au milieu de la cour, certains dans l'attente de l'ouverture de la boutique, d'autres que ma mère les appelle à la porte de notre salle d'eau où elle donnait les premiers soins sur les plaies dues aux machettes, elle soignait aussi les maux de ventre et tous les petits bobos... Un jour, elle accoucha la femme de Touré, le boutiquier et mis au monde des jumeaux.

Et moi, malgré mes six ans, je me souviens bien de la couleur jaune du terre plein de la plantation, du vert sombre et luisant des arbres entourant la maison, des baies de caféier et des fèves de cacao séchant au soleil se couchant sur les cases des manœuvres, des hangars brûlants et poussiéreux, de la marmite de riz fumant sous l'estanco qui servait de cuisine à Touré, de ces journées trop courtes où mon jeu préféré consistait à promener Bamboula, mon singe et à attendre la nuit tombée que Maman nous chante, assises sur les marches éclairées par la lune, face au jardin plongé dans le noir: Le loup, la biche et le chevalier, Une chanson douce, La chasse aux papillons, Le noël des petits santons, Douce France, Bonsoir madame la lune. Le pays d'ici et celui de là-bas, l'enfance d'ailleurs, celle des flamboyants.

Texte et images de caroline_8

samedi 5 novembre 2011

Korékro 57 #1

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Février 57, fin de notre voyage sur le Brazza. A la terrasse de l'Hôtel du Parc au Plateau, quartier central d'Abidjan, Jean P. ami de mes parents, nous a fait découvrir à Isabelle, 2 ans et demi et moi, cinq ans, le lait fraise avec une paille. Nouveau goût, nouvel environnement et puis demain nous prenons la route pour rejoindre notre père.

Assises à l'arrière de la 2CV camionnette sur nos cantines, nous avons bien supporté les 350 kilomètres de routes et pistes : nous étions si jeunes. Pour l'instant, ma principale préoccupation est de retrouver mon père que je n'ai pas vu depuis presque trois ans. Sous une apparence très sage et calme, j'ai l'esprit troublé : vais-je le reconnaître ? Comment vais-je faire avec cet homme que l'on me dit être mon papa ? Lorsque la 2CV, après avoir quitté le chemin qui montait à la plantation, s'est arrêté sur le terrain jaune de soleil et de chaleur, face à une longue maison, une silhouette maigre et habillée de couleurs claires s'est avancée et lorsque les deux portes arrières se sont ouvertes, j'ai couru vers elle... tout naturellement. Dans la grande pièce à vivre, sombre et fraîche, avec appréhension et dans l'attente de sa joie, ma reconnaissance, je lui ai offert un livre très imagé sur des fleurs et des plantes d'Europe que j'avais choisi dans la librairie de ma grand-mère. Il fut peu expansif, comme à son habitude...


A mes yeux d'enfant, la plantation apparût comme un paradis, plutôt vaste où je fus libre de me déplacer seule et de découvrir les caféiers vert sombre, entourant la maison, égayée par les fleurs blanches de deux frangipaniers, de quelques palmiers à huile, d'orangers dont les petits fruits jonchaient le sol - complètement vidés de leur jus par les singes - et parfumée à l'arôme des goyaviers. A l'intérieur, des pièces nues aux fenêtres – de simples ouvertures – que l'on fermait verticalement à l'aide de volets à lames peints en vert très doux, au sol de ciment et aux murs blancs, meublées en bois d'acajou brut.

Mon père F. vivait entouré de quatre chiens de brousse qui répondaient aux noms de Rita, Dora, Kroukrou et Karamo ; trois chats allaient et venaient, sans prendre de place affective. Hors de la maison, il y avait des poules et des pintades, des moutons, des chèvres et leurs cabris, deux cochons Nestor et Aglaé et dans cette arche de Noé, l'amour pour les animaux allait grandir en moi, d'autant plus que mon père allait bientôt me donner, comme compagnon de jeu, un petit singe vert.

Une nouvelle vie commençait, sur cette plantation ; un séjour qui durera presque deux ans et qui représentera à mes yeux, mon enfance africaine.

Texte et image de caroline_8