mercredi 31 août 2011

Dans la valise... un carnet

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Le carnet de voyage est un genre littéraire et plastique qui évoque avant tout le voyage, il se distingue du récit de voyage qui propose une lecture linéaire. Dans ma valise, je mettrais un carnet, un crayon bien taillé et une palette d'aquarelles, des ciseaux, un tube de colle et une pochette-récolte d'objets sur le lieu du voyage.
Mais parlons du carnet: c'est un assemblage de mots, de courts textes, de croquis, de couleurs et de petits objets récoltés de ci de là, peu épais, à coller. Ce qui fait le charme d'un carnet, c'est la mise en page des différentes matières d'expression qui en font sa personnalité.



Un carnet ne doit être ni trop petit (les croquis étoufferont) ni trop grand (pour son transport), composé de feuilles reliées entre elles par des spirales, une cordelette ou une pince. Les feuilles de papier peuvent être de riz, de papier d'aquarelle, de papier kraft ou autres. Et les petits objets à coller comme des tickets, des timbres, des étiquettes, des emballages alimentaires, des articles de journaux, des feuilles et des fleurs séchées, des épices, des plumes, des perles, des morceaux de tissus, du sable.


Dans les librairies, nous attendent de nombreux carnets qui appellent au voyage des yeux; parmi les plus connus, ce sont les carnets de Titouan Lamazou; dans ses Carnets de voyages, il nous fait partager ses plus belles rencontres, avec le regard d'un ethnologue et le cœur d'un artiste: - Il y a toujours un motif à mes voyages, c'est l'écriture -


Sur internet, Antonia Neyrins partage sa passion des voyages et de l'illustration: - Si la pratique du carnet de voyage est une philosophie de vie, le voyage en lui-même, est un prétexte et un alibi, car plus que le lieu lui-même, c'est la rencontre avec l'autre qui prime dans mon approche et mon désir de propager le bonheur -


En 1832, un peintre célèbre comme Eugène Delacroix, plus peintre que voyageur, revint du Maroc avec ses fameux croquis: -pris vite sur le vif et dans des conditions difficiles, souvent complétés ou coloriés le soir, rentré dans sa chambre, comme autant d'aide-mémoire. Une somme considérable de notes, de croquis, d'aquarelles et d'écritures. Delacroix crayonne même à cheval, son carnet arrimé au pommeau de la selle, consignant d'une écriture tremblotante ce qu'il ne peut dessiner! Le soir, il comble les blancs des pages, achève les phrases, colorie et complète... (note de Jean Bourdais)
De ces carnets, naîtront bien des années plus tard, quelques unes de ses œuvres maîtresses.

mardi 30 août 2011

D'une âme voyageuse et sans masque dans Venise

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Le Simplon Express roule de nuit et au matin, il traverse la lagune, s'arrête en gare de Santa Lucia et au bas des longues marches, Venise se réveille... Nous sommes le 8 mai 1983.

Venise, le 11 mai 1983 - 12 heures trente

San Maria della Salute, au bord du Grand Canal, n'ouvre qu'à 15h... Venise est devant moi, le vent est doux, le soleil rassurant. Ce voyage-ci, le besoin d'écrire se fait moins tenace ; j'ai envie par petites touches d'eau colorée, de mettre sur du papier blanc, ce que je vois, sens, entends, ce que je vis avec beaucoup de plaisir. Ce plaisir que je m'offre, seule. Sereine depuis que je vis seule, sans un homme gardien qui s'en le vouloir sans doute, m'empêcherait d'aller au-delà de moi, de nous. Depuis je ne cesse de découvrir, de mieux comprendre les autres et l'ailleurs ; ce qui me fait naître, construire ma vie avec l'espoir qu'un jour, elle croise celle d'un homme, mon égal avec lequel je ferai un bout de chemin... il ne sera peut être qu'une étape du voyage ! Pourquoi assise sur les marches della Salute, le regard tourné vers le Palazzo Ducale et son pont des Soupirs, pourquoi mon esprit est occupé par ceux qui ont bien ou mal partagé mon existence ? C'est que Venise est pleine de ces couples qui misent toute leur destinée sur cette entente, si douce mais si fragile, acquise ici. Or Venise n'est pas qu'une ville d'amour, c'est une voix tonitruante au teatro La Fenice, c'est l'ocre rouge passion des murs, c'est le vert croupi et ennuyeux des canaux, c'est le vent séduisant du large, c'est un tableau de la vie à feu et à sang, rien à voir avec le quotidien appelé à vivre, après la lune de miel.



Maria della Salute -1913- John Singer Sargent
Isola di San Michele, le 13 mai 1983 - 13 heures trente
Le vaporetto n°5 me dépose, pour ainsi dire, seule sur l'île ; à cette heure, ils sont occupés à repérer une terrasse au soleil printanier pour siroter un san pelligrino ou déguster des pâtes. Je traverse le cimetière muré de briques roses et couvert de cyprès vert; la promenade parmi les tombes vénitiennes, fleuries et très m'as-tu vues, m'est indifférente mais je suis séduite par le cimetière évangéliste où sont enterrés des anglais et des allemands, où plus jamais personne ne vient leur rendre visite. Des arbres du voyageur poussent depuis leurs sépultures ; ce sont leurs âmes voyageuses qui ne veulent pas reposer ici, à Venise et qui s'élancent vers l'ailleurs. Dans le cimetière orthodoxe, c'est pareil ; seule la tombe de Diaghilev, petit monument gris et celle de Stravinsky, marbre fleuri ont leurs visiteurs attitrés. Si j'étais riche ou si le hasard voulait que ma vie s'arrête là, à Venise... j'aimerais être enterrée sur l'île de San Michele, du côté des étrangers. Tout au bout de la grande allée, les murs roses sont percés de trois larges grilles noires qui laissent apparaître la lagune et au loin dans la brume, Venise la bruyante, Venise la vivante me rappelle que je n'ai encore que 32 ans.



Vaporetto 1 - 1000 lires, Teatro de la Fenice - 9000 lires, Hôtel Ala pourboire - 500 lires, Vaporetto 1 - 1000 lires, Dell'Accademia - 2000 lires, Teatro pourboire - 500 lires, Peggy Guggenheim - 3000 lires, Timbres - 3250 lires, Scuola Grande di Rocco - 2000 lires, Eglise dei Frari - 300 lires, Vaporetto 5 - 1200 lires, San Giorgio Maggiore - 1000 lires, Vaporetto 5 - 1200 lires, Masque de Venise - 20 000 lires, Vaporetto 6 - 2000 lires, Vaporetto 1 - 1250 lires

Un mois plus tard, le 11 juin 1983 dans Paris, je rencontrais le père de mes trois filles.

Texte de caroline_8 [du journal de mai 1983]

lundi 29 août 2011

Du plaisir de la sieste

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Tout d'abord, créer l'ambiance... fenêtre ouverte pour qu'un petit vent fasse bouger les voilages, tout légers et transparents afin que la lumière, ainsi tamisée, baigne la pièce de couleurs apaisantes.

Adolf von Menzel -balkonzimmer- 1845

La sieste désigne le sommeil pris en milieu de journée, le plus souvent après le repas de midi, mais aussi, plus généralement, toute forme de repos (avec ou sans endormissement) pris en cours de journée par opposition au sommeil de la nuit. Lors de la sieste, il est possible de s'allonger simplement ou de dormir franchement. Le temps varie selon les personnes, de dix minutes à plusieurs heures. Je m'allonge, je m'endors pour une vingtaine de minutes et je m'éveille toute reposée.
Petit repos entre deux grands sommeils, la sieste a pour caractéristique principale d'être un assoupissement qui peut se passer au lit, mais peut aussi se passer du lit... On fait sa sieste, allongé dans l'herbe tendre d'un jardin, dans un épais fauteuil d'une maison de campagne. Personnellement je préfère un lit dans une semi-obscurité; pas besoin de silence, j'aime l'idée que la vie n'est pas très loin. La sieste ne tolère pas l'agitation haletante, mais elle est s'accommode d'une très légère activité, quasiment somatique, destinée à rendre cette phase infiniment plaisante. Lecture lascive, baisers doucereux, boisson fraîche et café chaud : la sieste est une langueur du corps et de l'âme. Elle constitue un moment privilégié où le corps est soumis à une baisse de tension qui donne à l'esprit l'occasion de voleter, tout heureux. Et ce d'autant plus que l'état d'indolence de la sieste donne souvent au sens une étrange et inhabituelle acuité: l'ouïe sélectionne les sons qui lui plaisent, le toucher fait de tout contact une caresse, les parfums sont plus vifs et les papilles s'émerveillent des subtilités de la moindre menthe glacée.



Federico Zandomeneghi -En el lecho- 1878

Sa pratique diffère selon les cultures, le climat et les individus. La sieste est couramment pratiquée dans les pays chauds, aux heures les plus chaudes lorsque le soleil est au zénith : la chaleur ne permet pas d'activité très physique et le travail est remis aux heures plus fraîches. J'ai gardé cette habitude et ce besoin, je dirais même ce plaisir, bien sûr, de toutes ces années passées en Afrique. Dans les pays plus froids, la sieste est moins courante. Les enfants en bas âge ont souvent besoin d'un tel moment de repos, au moins sous la forme d'un temps calme organisé dans les structures d'accueil (écoles, centres de loisirs ou de vacances). Véritable art de vivre en Europe du Sud et en Amérique latine, la sieste est encore mal vue en France. Pour les adultes, en Occident, la sieste est souvent vue comme un luxe, un temps volé au temps de travail ou à d'autres activités.



Balthus -La dormeuse- 1943

Heureux ceux qui aiment sombrer dans une sieste réparatrice au milieu d'une dure journée de labeur ! ... Et je fais partie de ceux-ci. Cet instant privilégié figure en bonne place dans la correspondance et les journaux d'André Gide ou de Thomas Mann, dans les romans de Jorge Amado ou Miguel Angel Asturias.

 -La sieste est un moment déterminant : pour se recueillir, réfléchir, rêver, (...) et dormir- (Thierry Paquot -L'art de la sieste- Ed. zulma)

dimanche 28 août 2011

De la cabane dans l'arbre à celle du poète

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Architecture légère, vite construite, avec des matériaux de récupération, dans des taillis, contre un mur au fond du jardin, entre deux arbres et parfois perchée dans leurs branches, la cabane du jeu et de l'enfance symbolise la liberté du geste, un choix de l'essentiel, un espace à vivre à part, précaire, éphémère. On joue à construire, à installer avec le souci de reproduire une maison à sa propre échelle.



Mais l'enfant grandit et sa cabane peut devenir réellement sa demeure ; son lieu de vie reste un refuge, certes confortable mais relié à la nature. Ces cabanes-refuges isolées sont habitées par des solitaires, des ermites volontaires, incapables de se contenter d'une maison classique ; ils veulent d'un repli, d'un endroit où l'on se retire, lieu protecteur et rassurant. Mais sans rupture car cet espace intérieur est en prise avec ce qui l'entoure. L'extérieur est en harmonie avec la nature, très poétique, même ascétique ; quant à l'intérieur, il a l'esprit cabane, très imaginé, très rêvé.



Avoir l'esprit cabane, c'est avoir une conscience politique de sa vie, c'est être libertaire par le choix de la cabane liée au nomadisme peu soucieux d'accumulation de biens. La cabane satisfait l'esprit léger de l'homme, ses envies d'union à la nature et son goût du vagabondage et de la rêverie ; ce qui nous mène à la cabane, évoquée par la littérature, comme une méthode à rêver, à imaginer, à être, à penser avec tout ce qu'il y a de merveilleux et de divin.



Cabane du pêcheur, du jardinier, du peintre, du poète, de l'ermite, cabane de sieste, cabane de thé... Elle offre à son occupant, souvent unique, un abri et surtout une évasion du quotidien, un repli sur soi, un moment de rêve, une échappée dans l'imaginaire. Car habiter en poète est la seule condition de la liberté. C'est un lieu fragile et sensible, lieu de méditation lorsqu'on lui confère une dimension spirituelle, où le poète et le philosophe pourront réinventer le monde, feront acte de vie dans la constante exposition de soi aux autres et au-dehors de cette cabane, face à l'univers. Il n'y a pas de meilleure définition, que celle-ci, pour qualifier la cabane du poète, l'espace du blog, ma cabane de l'écriture, mes -fenêtres sur la cour-



Ma cabane à moi, ma cabane de l'écriture est plus qu'un rêve, c'est une maison onirique, d'intimité absolue ; mais un lieu en suspension, en devenir, en évolution... je suis les mots, je suis l'écrit ; cette maison, aux fenêtres sur la cour, est devenue celle de l'écriture.

Texte inspiré du site de Robin Hunzinger et CLIC sur les photos tirées du livre -A guide to the Woodbutcher's Art- Collection Art Boericke/Barry Shapiro. Aux Ed. A& W Visual Library, livre épuisé mais que je possède depuis les années 85.

samedi 27 août 2011

Dans un voyage, le plus long est d'arriver à la porte

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Arrivée d'Afrique, à l'âge où les rêves se confondent avec la vie, je m'étais dépêchée d'oublier le monde dans lequel j'avais été élevée, c'est-à-dire le lieu de l'enfance, le soleil moite, la mer d'écume grondante, les odeurs fortes, les plantes luxuriantes des jardins, les mots des palabres... presque tout ; je n'avais gardé contact avec le passé que par les lettres que nous échangions mes parents et moi.

Je n'avais de désirs que pour des rues grises et serrées, des chambres minuscules et près du ciel, de la neige urbaine et éphémère, des petits cafés parisiens et d'un autre monde qui viendrait à moi puisqu'il me reconnaîtrait comme l'une des siennes. (...) mon arrivée en France m'est apparue comme le commencement d'une vie nouvelle. Mais les débuts furent bien amers. Il me semblait que la vie, telle que je l'envisageais, viendrait à moi, tout naturellement parée de ses habits de fête. (Lettres du soir du 29/01/93)

Le décor dans lequel je vivais, était à la hauteur : une chambre de bonne au 6e étage, rue du Sentier dans le IIe arrondissement, sans salle de bain, un petit chauffage, avec un hamster Dali et un lapin nain Baudelaire pour seuls compagnons; me nourrissant de lait concentré sucré, le soir et d'une tablette de chocolat noir, le jour où j'allais retirer les 10 francs de la semaine ; le chocolat était agrémenté par la lecture de Charlie Hebdo... seul extra, car il me fallait garder le reste pour le jambon-beurre-sans-cornichon-café que je prenais, tous les midis face à l'atelier de dessin, rue de Seine dans le VIe arrondissement, tenu par deux vieilles filles qui m'apprenaient le dessin, la peinture à l'huile, la vannerie, le nu, l'histoire de l'art. Je portais des chemises indiennes, un jean , des colliers artisanaux, un burnous noir marocain et des sabots suédois et sous le bras, un carton à dessin, à la main, un panier tressé à la Jane Birkin... baba cool et j'allais, me semblait-il, au devant de belles rencontres où l'art, l'intellect et le mépris pour –Les choses- de Georges Perec feraient mon quotidien.

La déception fut que je me suis retrouvée très souvent seule à avoir ce désir-là, et j'enviais Anaïs Nin, -ses amis, ses relations : écrivains, peintres, psychanalystes qui lui apportent beaucoup et l'aident à se trouver. Je regarde autour de moi... personne... J'ai besoin de ces relations enrichissantes, de rapports profonds, de l'admiration des autres que moi-même j'admire jusqu'à l'idéalisation. Pourquoi faut-il que j'amplifie tout sentiment (...) qui me mène directement à la déception, dès que je suis lucide (journal de février 76) Je ne fis aucune de ces rencontres, mes camarades d'atelier étaient gentils, mais sans culture et sans souci matériel; j'ai écourté mes études, en passant le Diplôme d'Aptitude à l'Enseignement du dessin et de la peinture, avant les autres, ayant quelques années de plus et le BAC en poche. J'entrais aux Beaux-Arts, rue Bonaparte dans le VIe arrondissement; mais là encore, la porte resta désespérément close.

Dans le monde où j'évoluais, il n'y avait ni partage, ni découverte, ni originalité, tout dans l'apparence et la superficialité; nous étions jeunes, sans doute. Alors, l'argent venant à manquer, je poussais la porte du travail, celle du monde des adultes. Et la porte se referma derrière moi...

Texte de caroline_8 et photo d'Anaïs Nin