mardi 30 août 2011

D'une âme voyageuse et sans masque dans Venise

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Le Simplon Express roule de nuit et au matin, il traverse la lagune, s'arrête en gare de Santa Lucia et au bas des longues marches, Venise se réveille... Nous sommes le 8 mai 1983.

Venise, le 11 mai 1983 - 12 heures trente

San Maria della Salute, au bord du Grand Canal, n'ouvre qu'à 15h... Venise est devant moi, le vent est doux, le soleil rassurant. Ce voyage-ci, le besoin d'écrire se fait moins tenace ; j'ai envie par petites touches d'eau colorée, de mettre sur du papier blanc, ce que je vois, sens, entends, ce que je vis avec beaucoup de plaisir. Ce plaisir que je m'offre, seule. Sereine depuis que je vis seule, sans un homme gardien qui s'en le vouloir sans doute, m'empêcherait d'aller au-delà de moi, de nous. Depuis je ne cesse de découvrir, de mieux comprendre les autres et l'ailleurs ; ce qui me fait naître, construire ma vie avec l'espoir qu'un jour, elle croise celle d'un homme, mon égal avec lequel je ferai un bout de chemin... il ne sera peut être qu'une étape du voyage ! Pourquoi assise sur les marches della Salute, le regard tourné vers le Palazzo Ducale et son pont des Soupirs, pourquoi mon esprit est occupé par ceux qui ont bien ou mal partagé mon existence ? C'est que Venise est pleine de ces couples qui misent toute leur destinée sur cette entente, si douce mais si fragile, acquise ici. Or Venise n'est pas qu'une ville d'amour, c'est une voix tonitruante au teatro La Fenice, c'est l'ocre rouge passion des murs, c'est le vert croupi et ennuyeux des canaux, c'est le vent séduisant du large, c'est un tableau de la vie à feu et à sang, rien à voir avec le quotidien appelé à vivre, après la lune de miel.



Maria della Salute -1913- John Singer Sargent
Isola di San Michele, le 13 mai 1983 - 13 heures trente
Le vaporetto n°5 me dépose, pour ainsi dire, seule sur l'île ; à cette heure, ils sont occupés à repérer une terrasse au soleil printanier pour siroter un san pelligrino ou déguster des pâtes. Je traverse le cimetière muré de briques roses et couvert de cyprès vert; la promenade parmi les tombes vénitiennes, fleuries et très m'as-tu vues, m'est indifférente mais je suis séduite par le cimetière évangéliste où sont enterrés des anglais et des allemands, où plus jamais personne ne vient leur rendre visite. Des arbres du voyageur poussent depuis leurs sépultures ; ce sont leurs âmes voyageuses qui ne veulent pas reposer ici, à Venise et qui s'élancent vers l'ailleurs. Dans le cimetière orthodoxe, c'est pareil ; seule la tombe de Diaghilev, petit monument gris et celle de Stravinsky, marbre fleuri ont leurs visiteurs attitrés. Si j'étais riche ou si le hasard voulait que ma vie s'arrête là, à Venise... j'aimerais être enterrée sur l'île de San Michele, du côté des étrangers. Tout au bout de la grande allée, les murs roses sont percés de trois larges grilles noires qui laissent apparaître la lagune et au loin dans la brume, Venise la bruyante, Venise la vivante me rappelle que je n'ai encore que 32 ans.



Vaporetto 1 - 1000 lires, Teatro de la Fenice - 9000 lires, Hôtel Ala pourboire - 500 lires, Vaporetto 1 - 1000 lires, Dell'Accademia - 2000 lires, Teatro pourboire - 500 lires, Peggy Guggenheim - 3000 lires, Timbres - 3250 lires, Scuola Grande di Rocco - 2000 lires, Eglise dei Frari - 300 lires, Vaporetto 5 - 1200 lires, San Giorgio Maggiore - 1000 lires, Vaporetto 5 - 1200 lires, Masque de Venise - 20 000 lires, Vaporetto 6 - 2000 lires, Vaporetto 1 - 1250 lires

Un mois plus tard, le 11 juin 1983 dans Paris, je rencontrais le père de mes trois filles.

Texte de caroline_8 [du journal de mai 1983]

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