mardi 8 novembre 2011

Korékro 57 # 2

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Début 1954, mon père F. a pris en main une plantation de café de 100 hectares, à 25km de Bocanda... sur la route de Ouellé. On quittait la route de terre rouge latérite, on prenait une piste étroite qui montait à travers les caféiers et débouchait à 300 mètres sur les habitations de la plantation Korékro.

A notre installation, mon père dut débroussailler, avec l'aide de manœuvres, les lieux délaissés depuis longtemps. Il récoltait les baies dites cerises, les faisait sécher sur des terrasses de ciment, avant de les décortiquer à l'aide d'une machine sous les hangars et ainsi mettre en sac, les grains de café. La récolte étant insuffisante, il partait avec son camion Renault Galion dans les campements alentours et achetait aux paysans leurs petites productions. Il revendait le tout à de plus importants négociants.


Au cœur de la plantation de café, s'élevaient et s'étendaient notre maison, la boutique, le château d'eau et sa citerne, le poulailler et l'abri des chèvres, les habitations des manœuvres et les hangars pour le café. La boutique, toute petite pièce, était tenue par Touré qui vendait aux paysans des campements, les produits de première nécessité comme le sucre, le savon, les allumettes, des cigarettes à l'unité, de l'huile de palme, des machettes, des lampes tempêtes.

Pour mieux se faire comprendre des paysans avec lesquels F. faisait du petit commerce, il avait appris le baoulé, la langue de l'ethnie Baoulé qui habite les savanes s'étendant entre le fleuve Bandama et le fleuve N'zi. Mon père s'était confectionné un dictionnaire des mots qu'il employait (aujourd'hui disparu dans les nombreux déménagements) Le matin vers 10h, les paysans voisins de la plantation s'asseyaient au milieu de la cour, certains dans l'attente de l'ouverture de la boutique, d'autres que ma mère les appelle à la porte de notre salle d'eau où elle donnait les premiers soins sur les plaies dues aux machettes, elle soignait aussi les maux de ventre et tous les petits bobos... Un jour, elle accoucha la femme de Touré, le boutiquier et mis au monde des jumeaux.

Et moi, malgré mes six ans, je me souviens bien de la couleur jaune du terre plein de la plantation, du vert sombre et luisant des arbres entourant la maison, des baies de caféier et des fèves de cacao séchant au soleil se couchant sur les cases des manœuvres, des hangars brûlants et poussiéreux, de la marmite de riz fumant sous l'estanco qui servait de cuisine à Touré, de ces journées trop courtes où mon jeu préféré consistait à promener Bamboula, mon singe et à attendre la nuit tombée que Maman nous chante, assises sur les marches éclairées par la lune, face au jardin plongé dans le noir: Le loup, la biche et le chevalier, Une chanson douce, La chasse aux papillons, Le noël des petits santons, Douce France, Bonsoir madame la lune. Le pays d'ici et celui de là-bas, l'enfance d'ailleurs, celle des flamboyants.

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samedi 5 novembre 2011

Korékro 57 #1

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Février 57, fin de notre voyage sur le Brazza. A la terrasse de l'Hôtel du Parc au Plateau, quartier central d'Abidjan, Jean P. ami de mes parents, nous a fait découvrir à Isabelle, 2 ans et demi et moi, cinq ans, le lait fraise avec une paille. Nouveau goût, nouvel environnement et puis demain nous prenons la route pour rejoindre notre père.

Assises à l'arrière de la 2CV camionnette sur nos cantines, nous avons bien supporté les 350 kilomètres de routes et pistes : nous étions si jeunes. Pour l'instant, ma principale préoccupation est de retrouver mon père que je n'ai pas vu depuis presque trois ans. Sous une apparence très sage et calme, j'ai l'esprit troublé : vais-je le reconnaître ? Comment vais-je faire avec cet homme que l'on me dit être mon papa ? Lorsque la 2CV, après avoir quitté le chemin qui montait à la plantation, s'est arrêté sur le terrain jaune de soleil et de chaleur, face à une longue maison, une silhouette maigre et habillée de couleurs claires s'est avancée et lorsque les deux portes arrières se sont ouvertes, j'ai couru vers elle... tout naturellement. Dans la grande pièce à vivre, sombre et fraîche, avec appréhension et dans l'attente de sa joie, ma reconnaissance, je lui ai offert un livre très imagé sur des fleurs et des plantes d'Europe que j'avais choisi dans la librairie de ma grand-mère. Il fut peu expansif, comme à son habitude...


A mes yeux d'enfant, la plantation apparût comme un paradis, plutôt vaste où je fus libre de me déplacer seule et de découvrir les caféiers vert sombre, entourant la maison, égayée par les fleurs blanches de deux frangipaniers, de quelques palmiers à huile, d'orangers dont les petits fruits jonchaient le sol - complètement vidés de leur jus par les singes - et parfumée à l'arôme des goyaviers. A l'intérieur, des pièces nues aux fenêtres – de simples ouvertures – que l'on fermait verticalement à l'aide de volets à lames peints en vert très doux, au sol de ciment et aux murs blancs, meublées en bois d'acajou brut.

Mon père F. vivait entouré de quatre chiens de brousse qui répondaient aux noms de Rita, Dora, Kroukrou et Karamo ; trois chats allaient et venaient, sans prendre de place affective. Hors de la maison, il y avait des poules et des pintades, des moutons, des chèvres et leurs cabris, deux cochons Nestor et Aglaé et dans cette arche de Noé, l'amour pour les animaux allait grandir en moi, d'autant plus que mon père allait bientôt me donner, comme compagnon de jeu, un petit singe vert.

Une nouvelle vie commençait, sur cette plantation ; un séjour qui durera presque deux ans et qui représentera à mes yeux, mon enfance africaine.

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lundi 10 octobre 2011

Sur le Brazza 57

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Il fait nuit, nous sommes le 15 février 1957, sur un quai de gare à Paris ; j'ai cinq ans, nous prenons le train pour Bordeaux, Maman, ma sœur Isabelle et moi. Nous rejoignons mon père F. en Afrique, après un séjour prolongé en France. Nous passons la nuit, ma sœur et moi sur la même couchette du bas faiblement éclairée d'une veilleuse.
De Bordeaux, je ne me souviens que du taxi qui nous amène au port. Puis tout à coup, nous sommes au pied d'une énorme coque noire sur laquelle est écrit en grosses lettres blanches : BRAZZA... je sais lire depuis peu. Tout me paraît démesuré, la passerelle qui oscille et par laquelle nous montons, les longues coursives blanches et vivement éclairées qui nous mènent à la cabine qui, elle est petite et bas de plafond. Quant à l'unique hublot rond, il ressemble au couvercle d'un bocal de confiture avec une grosse poignée de cuivre.


C'est le départ, nous sommes sur le pont du Brazza, paquebot de la Compagnie Maritime des Chargeurs Réunis et il est 17 heures ; la sirène fait retentir deux longs mugissements et le bateau se sépare du quai tout en douceur. Les personnes deviennent minuscules et c'est la longue remontée de la Gironde...

Au réveil, devant mes yeux, les vêtements accrochés à la patère se balancent bizarrement, ils glissent lentement à gauche, puis lentement à droite ; ils se décollent de la paroi, puis se plaquent à nouveau sur elle. J'ai comme un léger mal au ventre. La mer est démontée, la proue du bateau pique du nez et remonte vers le ciel. De grosses vagues déferlent sur le pont avant, d'autres se brisent sur la coque, jaillissent en gerbes d'eau et retombent en pluie. Nous sommes dans le Golfe de Gascogne, en pleine mer. A midi, l'immense salle à manger n'est occupée que par quelques téméraires. Au cours du repas, les tables se vident. Au dessert, il ne reste plus que nous trois. (Et c'est vrai !)

Les après-midi, Isabelle et moi, nous nous joignons à d'autres enfants dans une salle de jeux où des moniteurs organisent toutes sortes de distractions et un goûter. Certains soirs, après le dîner, il y a cinéma pour les très grands. Maman nous y emmènent, au fond de la salle pour ne pas déranger, en robe de chambre et juchées sur un buffet, nous dominons l'assistance d'adultes... nous sommes les seules enfants. Après les dessins animés et pendant le court entracte, Maman nous ramène à la cabine, nous couche et repart voir le film. Ma sœur s'endort vite, mais je songe encore à la soirée, excitée et consciente d'avoir frôlé un monde clandestinement.

Compagnie Maritime des Chargeurs Réunis - via flickr Mistigree

Un jour, le 25 février et un matin, c'est la fin du voyage. La terre se rapproche, les passagers s'agitent dans les coursives ; un choc et le bateau s'immobilise, le long d'un quai : Abidjan... très vite, il fait chaud, on ne sent plus le vent du large et sur le pont, nous devons attendre avant de pouvoir descendre que les autorités soient montées à bord. Ce quai ne ressemble en rien à celui de Bordeaux : la lumière y est vive, le son des voix étrange, les odeurs fortes et enivrantes, les personnes y sont colorées. La tête me tourne un peu.
Soudain, un homme grimpe la passerelle, quatre à quatre, se plante devant nous avec un large sourire. C'est Jean P. un ami de mon père qui doit nous conduire à lui et à la plantation, au cœur du pays Baoulé.
-Elle passe partout- dit-il à Maman, en lui montrant la 2CV camionnette grise, garée sur le quai. C'était en perspective des 350 kilomètres de routes, puis de pistes, que nous aurions à faire le lendemain. Mais demain sera un autre jour...

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dimanche 9 octobre 2011

57, avenue de Breteuil - Paris VIIe

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Mon grand-père paternel, Paul M. est né à Rouen en 1866, d'une famille de commerçants en tissu et mercerie. Il quitte sa famille, assez jeune, et part pour Paris où il fréquente les milieux littéraires.
Aimant la musique, il écrit son admiration pour l'œuvre de Richard Wagner à Cosima Wagner, sa femme; celle-ci lui envoie un billet de train pour assister au festival de Bayreuth, en Bavière et enthousiaste, il y retourne plusieurs années de suite.
Il apprend l'allemand, voyage en Autriche, épouse à Vienne une autrichienne Joséphine K.; ils rentrent à Paris.

En 1890, Paul M. travaille à la Revue du Mercure de France où il partage un bureau avec Paul Léautaud. Un jour, il reçoit dans son courrier les premiers poèmes d'un jeune homme, nommé François Mauriac, qu'il publie; ce sera le début d'une longue amitié.
Il côtoie beaucoup d'Hommes de Lettres de l'époque –écrivains, critiques de théâtre et de musique- Où rencontre-t-il Stefan Zweig? A Vienne? Peut-être! Il devient son traducteur en 1910.

Joséphine meurt pendant la guerre de 1914. A plus de cinquante ans, il rencontre une jeune femme, Marie L.B, correctrice aux Edition Crès; il l'épouse et ont un fils en 1921, François, mon père.
Paul M. quitte le Mercure de France et accepte la proposition des Editions Crès: reprendre une librairie française à Zurich, en Suisse. Merveilleuses années ! Cette librairie devient, en quelque sorte, un foyer culturel où se retrouvent tous les amoureux des Belles Lettres.


Quatorze ans plus tard, Paul et Marie rentrent en France pour les études de leur fils F. et achètent une librairie à Paris VIIe au 57, avenue de Breteuil. Rien à voir avec le faste de celle de Zurich, pourtant tous leurs amis aiment se retrouver, autour d'un café dans le bureau, à l'arrière de la librairie.
Je n'ai pas connu mon grand-père, mais j'ai joué, étant enfant, dans cette librairie, tenue par ma grand-mère Mame et j'en ai gardé de délicieux souvenirs...

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samedi 8 octobre 2011

Paris 54-55

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Ma mère, mon frère P-H et moi, avons quitté la plantation Korékro, récemment acquise en plein pays Baoulé, la Côte d'ivoire où je suis née, l'Afrique où mon père F. tente d'installer et de faire vivre sa famille qui va bientôt s'agrandir... Il est préférable pour M-A, ma mère, d'accoucher en France.


Paris, fin de cet hiver 54 rigoureux où l'Abbé Pierre, par son appel, soulève en France une -insurrection de la bonté- Nous logeons chez Mame, notre grand-mère paternelle qui tient une petite librairie, avenue de Breteuil, à Paris VIIe . Mame s'installe à l'arrière de la librairie et nous laisse le petit deux-pièces, au dessus.

Je suis une vraie sauvage, j'ai 2 ans et demi... Je découvre entre autre, l'électricité et déclenche la lumière en appuyant inlassablement sur l'interrupteur; le médecin explique mon comportement perturbé, par ce changement trop rapide, entre deux mondes radicalement différents, pour un enfant de cet âge... Très vite, c'est l'arrivée de notre petite sœur Isabelle. La famille est créée, mais un peu bancale... Nous ne verrons pas notre père pendant deux ans et demi.

J'ai quelques bons souvenirs de cette période: j'ai une grande famille, deux grand-mères, des oncles, des tantes; je joue dans les belles allées de l'avenue de Breteuil, du Champs de Mars, des Invalides; mon intérêt pour le papier, les crayons, les livres et les étagères pleines de découvertes à faire datent de là, dans la librairie... Mais ce sera une autre histoire.

P-H est en pension, Isabelle encore bébé, est confiée à Mamoune, ma grand-mère maternelle et moi, j'accompagne ma mère, monitrice dans une colonie de vacances, près de Coulommiers en Seine et Marne où j'apprends à chanter: ... ne m'oubliez pas, petit chemin de mousse, ne m'oubliez pas fleurs bleues du petit bois, ne m'oubliez pas chemin des ombres douces... et puis, en tant qu'institutrice dans une maternelle à Marly-le-Roi, en Ile de France, là j'apprends les lettres, les chiffres, les coloriages, mais aussi le froid et la solitude dans cette grande maison où l'école nous a logées. C'est sûr, même si je suis très proche de Maman, mon frère et ma sœur me manquent... et l'image que je me suis faite de Papa, est idéalisée, grandie par l'absence, la distance et le temps qui nous séparent... de quand les affaires iront mieux...

Un jour, M-A décidera de repartir là-bas, le rejoindre et ce sera un grand voyage, avec beaucoup d'émotions... Je vais revoir mon père, la plantation et là, ce sont mes propres souvenirs; je suis grande, j'ai 5 ans.

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vendredi 7 octobre 2011

Dimbokro 53

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Après avoir vécu trois mois à Daloa (Haut-Sassandra), la maison Périnaud fermant, mon père F. part travailler pour la maison Harambat à Dimbokro. Ville du centre de la Côte d'Ivoire, située à 200 km, au nord de la capitale Abidjan, dans la zone d'influence du royaume Baoulé. Dimbokro se trouve dans la région du N'zi- Comoé, au bord du N'zi, affluent du fleuve Bandama. Celui-ci est long de 1050 km, il est entièrement ivoirien et traverse le pays en son milieu; il se jette dans l'océan Atlantique, à Grand-Lahou.

Légende: la majorité des habitants de cette région sont des Baoulé, dont l'histoire est un épisode de la diaspora des Achantis. Lorsque le royaume Achanti se stabilisa autour de Kumassi, au Ghana, une fraction de la population, chassée par des dissensions familiales, se regroupa autour de la reine Abla Pokou et vint se fixer au centre de la Côte d'Ivoire. Selon la légende, Pokou et son peuple furent arrêtés dans leur fuite par un fleuve. Pour qu'ils fussent sauvés, l'oracle exigeait un sacrifice : la reine jeta son fils unique dans les eaux infestées de crocodiles. Alors, sur la rive opposée, un grand fromager (arbre) se coucha pour servir de pont aux fugitifs. Tous purent passer, mais la reine, déchirée, se tourna vers le fleuve et cria : Ba ouli (l'enfant est mort !). Telle serait la tragique origine du nom Baoulé.


Nous vivons dans un habitat au confort rudimentaire, propre à l'époque; mobilier réduit à l'essentiel, électricité par un groupe électrogène, mais deux petits flamboyants ornent l'entrée principale de la maison. Dimbokro se situe dans une cuvette chaude et humide et avec le pick-up GMC fourni par Harambat, la petite famille part souvent au bord du Kan, une rivière à 15km. Mon frère P.H nous rejoint; âgé de sept ans, il fait le voyage Paris-Abidjan, accompagné par Mr St-O, ami et collège de travail.

Pendant quelques années, la vie de notre famille évolue dans ce qu'on a appelé "la boucle du cacao"; la boucle part de Dimbokro, Bocanda, Ouéllé, Anoumabo, Kotobi, Bongouanou et retour sur Dimbokro. Début 1954, mon père F. quitte Harambat et prend en main une plantation de café, à 25km de Bocanda: la plantation Korékro où nous nous installons; ma mère M-A, enceinte de huit mois rentre en France en avril 54, nous emmenant P-H et moi, pour la naissance du bébé.

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mercredi 21 septembre 2011

Abidjan - Agboville - Dimbokro - Daloa 52

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En juin 1952, ma mère M-A et moi, après un séjour de six mois en France, rejoignons mon père F. basé à Dimbokro, en partance pour Daloa.

C'est en DC4, avion de la TAI (transports aériens intercontinentaux) que nous quittons Paris, en faisant escale à Casablanca (Maroc), à Bamako (Mali), pour Abidjan (Côte d'Ivoire). Voyage sonore et vibrant, pendant lequel j'ai dormi dans un "filet" sorte de petit hamac de voyage que l'on accroche dans les avions ou les trains.


A Abidjan, un collègue de F. de la maison Perinaud (petit propriétaire de comptoirs en AOF), nous amène à la gare et, avec une cantine et un petit bagage, nous prenons un vieux train à plate-forme arrière, aux fenêtres sans vitre, mais grillagées, et M-A, s'assoit sur une banquette de bois, à côté d'un Père Blanc (missionnaire français habillé de blanc).

La nuit tombe rapidement et dans le noir complet, elle apprend qu'il y a eu un déraillement sur la voie, que le train n'ira pas plus loin qu'Agboville et se souvenant que, dans cette ville, il s'y trouve une boutique de la maison Perinaud, elle descend avec la cantine, son bagage et moi à Agboville; nous passons la nuit dans la "chambre de passage" pour reprendre le lendemain, cette fois-ci une micheline.

Une demi-heure après le départ, le train s'arrête: le contrôleur est tombé par la portière... marche arrière pour retrouver le contrôleur bien sonné et de nouveau, marche arrière jusqu'à Agboville. Le contrôleur est amené à l'hôpital; la micheline repart, la nuit tombe et le voyage touche à sa fin; à 5 km de Dimbokro, un choc, le train stoppe: il a écrasé un buffle. Pour s'en dégager, le train avance, recule et avance pour enfin, libéré de son obstacle, repartir et arriver à destination.


J'ai six mois et cela fait six mois, que mes parents ne se sont vus... le voyage, pour les retrouvailles, a duré trois jours. Le lendemain, Papa, Maman et moi prenons la route avec le "pick-up" pour Daloa où nous résiderons trois mois.

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mardi 20 septembre 2011

Grand-Bassam 51



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M-A, ma mère et mon frère Paul-Henry, âgé de trois ans, rejoignent mon père F. installé à Abidjan, en Côte d'Ivoire, depuis 1949. Ils embarquent le 10 juin 1950, à Marseille, sur le bananier Tamara de la Compagnie Fabre et Fraissinet.

La traversée dure seize jours, pendant laquelle ce bateau fait escale à Tanger, à Casablanca au Maroc, à Dakar au Sénégal, à Conakry en Guinée et à Sassandra en C.I.
A Sassandra, M-A avec P-H décide de passer la nuit chez un collègue de F. travaillant pour la Maison Perinaud (petit propriétaire de comptoirs en AOF). Seulement voilà, à Sassandra, il n'y a pas de port; il faut emprunter "le panier" afin de descendre dans une grosse barque où des pagayeurs, tout en scandant des chants, amènent la dite-barque à passer "la barre" énorme vague-rouleau qui borde les plages du Golfe de Guinée. Épique... elle avait vingt ans.

Le Tamara débarque ses passagers sur des plates (embarcations à fond plat) à l'embouchure du canal de Vridi, le port d'Abidjan n'étant pas terminé à l'intérieur de la lagune.




Les photos en couleur, des maisons coloniales, ont été prises en avril 1978, lors de mon dernier séjour en Côte d'Ivoire.

Tous les trois s'installent à Grand-Bassam, à l'est d'Abidjan, située entre la mer et la lagune Ebrié. Leur maison a le style classique de l'architecture coloniale et le confort y est sommaire; pièces sans fenêtre, dont les portes donnent sur une véranda fermée par des persiennes de bois s'ouvrant verticalement, afin de garder la fraicheur, la nuit sous la moustiquaire.

Grand-Bassam possède une artère principale: le boulevard Treich Laplène qui longe la plage, bordé de chaque côté de belles maisons et de cocotiers; en son centre, sur des rails roulent des wagonnets qui acheminent la marchandise du "wharf", où elle a débarqué, vers le bâtiment de la douane, où les boutiquiers viendront la chercher.
Dans les faubourgs de G-B, se trouve le village des pêcheurs d'Azuretti avec son cimetière.

C'est dans ce cadre que Maman m'attend jusqu'à ma naissance en décembre 1951... à l'hôpital du Plateau d'Abidjan.


... journée à Grand-Bassam: Maman raconte notre séjour en 1951, moi au creux de son ventre, pas encore au soleil... de la vie. Je sens que je suis ici pour un retour aux sources ; il me faut revenir sur mes pas d'enfant, au pays natal, berceau des premières joies: l'Afrique... avoir envie d'aller au delà, en profondeur; je questionne Maman, je regarde les photos... (Journal du jeudi 13 avril 1978)

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lundi 19 septembre 2011

Le pays d'où l'on ne part jamais tout à fait

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-Côte d'Ivoire- Afrique de l'Ouest (1951-1971)

Ma famille a parcouru pendant dix ans ce pays, poussée par la recherche de travail; elle est partie de la région des Lagunes (Abidjan) vers celle du Sud-Comoé (Grand-Bassam), puis celle du Haut-Sassandra (Daloa), enfin celle du N'zi-Comoé (Dimbokro), de nouveau le N'zi-Comoé (sur la plantation et Bocanda) et de retour dans la région des Lagunes.

Stabilisés à Abidjan, nous avons habité différents quartiers: au Plateau, sur la plage de Vridi, au pont F. Houphouët-Boigny, à l'Indénié, au km 3, au bord de la lagune et enfin de nouveau le Plateau.

Dans ma petite enfance, j'ai connu la liberté de vivre en brousse, pleine de couleurs humides, d'odeurs fortes et de bruits étranges avec des animaux divers et variés, je ne suis allée à l'école qu'à l'âge de dix ans. Il s'est écoulé encore dix ans jusqu'à ce que munie d'un diplôme, je rentre, seule en France, poursuivre mes études.

Encore maintenant, j'ai envie et besoin de dire: - Je suis née en Afrique... - en déclinant, avec fierté, mon identité.

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dimanche 18 septembre 2011

Avoir dans une cabane, des rêves d'humanité

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Si la cabane de l'enfance est le refuge, le petit coin bien à soi, c'est l'image même de l'endroit où l'on peut être soi ou autre selon; autant la cabane de l'adulte peut nous ramener à une triste réalité, celle de l'urgence de se protéger, c'est la cabane de la vie, voir la cabane de la (sur)vie. De tout temps, après une guerre, lors d'un crash boursier, d'un cataclysme ou d'une vie de pauvreté, des hommes se construisent des cabanes au cœur de la nature, à la périphérie des villes ou en plein quartier urbain ; des cabanes provisoires, mais qui durent parfois très longtemps.


Et puis, il y a la cabane investie dans un endroit peu destiné à être une habitation. Ce type de logement peut découlé d'un choix de vivre autrement, en marge de la société, bohème et compagnie ; il dénonce une préférence et donc un luxe. Mais le lieu, qui au départ n'est pas une maison, peut être installé comme telle dans l'urgence ou l'inexistence d'une dite maison, par des personnes pauvres, sans ressource autre que la débrouille. L'habitation peut être mobile comme la roulotte, la caravane ou la péniche. Ce sont les maisons nomades qui voyagent.





Le logis peut s'immobiliser pour toujours comme un fuselage d'avion, une quille de bateau retourné ou un bus. Le voyage n'est plus qu'un souvenir, il est accompli et les passagers, dès lors, sont bien à l'abri.





Dans certains pays, on pratique même le déplacement de maisons par voie d'eau, voie ferrée ou routière. Ce sont des maisons qui en changeant de lieu, sont amenées à voyager et ensuite à replanter leurs fondations dans une nouvelle terre.





D'après le dictionnaire des synonymes de la langue française de Pierre Benjamin Lafaye -1861-:
(... ) La maisonnette, la chaumière, la cabane, la hutte, la cahutte, la baraque et la bicoque sont de petites maisons.
La chaumière et la cabane sont des maisons de village, de méchantes maisons. Mais la cabane est encore pire que la chaumière. Dans les chaumières, on trouve sans doute des hommes peu fortunés, qui mènent une vie laborieuse; dans les cabanes, on ne trouve qu'indigence: c'est proprement la maison du pauvre. La cabane se conçoit nécessairement comme misérable.
Les huttes sont plutôt des cabanes de sauvages ou de soldats grossiers, qui ignorent l'art de bâtir; et les cahutes, des cabanes de pauvres paysans ou de pauvres bergers, répandus dans la campagne ou dans les bois. (... )


Les nœuds sacrés de la vraie amitié se forment bien plus facilement sous un humble toit et dans les cabanes des bergers que dans les palais des rois. (L'Arioste)

Texte de caroline_8 inspiré par les photos de TopFoto Gallery

samedi 17 septembre 2011

Je peindrai tes yeux lorsque je connaîtrai ton âme

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-J'ai souri et, par-delà mon visage, tu as revu les traits de ces madones que tu contemplais si longuement aux Offices et au palais Pitti, ou dans les églises de Florence. Tu avais dix-huit ans, tu étudiais la peinture à l'Accademia di Belle Arti. Tous les après-midi, tu revenais. Tu t'asseyais et tu copiais. A Venise, l'année suivante, ce fut le même éblouissement. Après avoir découvert les madones siennoises du XIVe et du XVIe, les nymphes de Botticelli ou les vénus de Giorgione et du Titien, jamais, plus jamais, m'as-tu dit, tu n'as peint ni dessiné de la même façon- (Texte de France Huser)

Amedeo Modigliani fait le portrait d'une jeune fille de dix-neuf ans, un portrait daté et signé du 31 décembre 1916. Elle s'appelle Jeanne Hébuterne. -Sur le portrait que tu viens d'achever, tu n'as pas dessiné la pupille ni l'iris. Tu as recouvert seulement mes yeux d'une transparence bleue: je ne regarde pas, j'écoute ta ferveur- (Texte de France Huser)



6 octobre 1919: Tu me demandes d'incliner le cou aussi. Sur la toile, tu le dessines plus élancé encore. Mon visage paraît parfois presque suppliant. -Le bonheur est un ange au visage grave- dit Modigliani. Il n'exprime pas la douleur. Peut être la mélancolie (...) Tu préfères que je sois habillée de tons étouffés (...) Un rouge sourd, un jaune orangé (...) Derrière moi, le fond est simplifié, tout est effacé. A droite, dans le portrait au chandail jaune, tu as pourtant peint un meuble (...)
12 octobre 1919: Tu m'as peinte avec un grand chapeau, portant un collier, en chemise, coiffée d'un chignon, les cheveux dénoués (...)

26 novembre 1919: Tu as décidé que je poserai devant la porte (...) A l'instant, je viens à nouveau de regarder la porte: je voudrais l'ouvrir et sortir. Non pas m'enfuir, mais partir avec toi.

3 décembre 1919: (...) je dois copier les portraits qu'il a fait de moi. C'est peut-être pour cette raison que, parfois, je ne sais plus qui je suis: moi-même ou la femme du portrait?

8 décembre 1919: Quand il commence à me peindre, il me semble que je vais enfin savoir qui je suis. Et surtout pourquoi j'accepte tout de lui et la vie qui est la nôtre.
10 décembre 1919: J'ai posé devant la porte rouge. Je porte un châle d'un rouge plus vif. Du rouge encore court sur les murs. Au centre de l'incendie je suis une flamme. (Texte de France Huser)



Elle s'appelle Jeanne Hébuterne et elle est le modèle d'Amedeo Modigliani; souvent assise, les bras tendus sur ses genoux, la paume des mains offerte au regard, le cou légèrement incliné, - ... le mouvement si souple, abandonné de son corps montrait sa soumission. Elle acceptait, elle était là.-