samedi 27 août 2011

Dans un voyage, le plus long est d'arriver à la porte

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Arrivée d'Afrique, à l'âge où les rêves se confondent avec la vie, je m'étais dépêchée d'oublier le monde dans lequel j'avais été élevée, c'est-à-dire le lieu de l'enfance, le soleil moite, la mer d'écume grondante, les odeurs fortes, les plantes luxuriantes des jardins, les mots des palabres... presque tout ; je n'avais gardé contact avec le passé que par les lettres que nous échangions mes parents et moi.

Je n'avais de désirs que pour des rues grises et serrées, des chambres minuscules et près du ciel, de la neige urbaine et éphémère, des petits cafés parisiens et d'un autre monde qui viendrait à moi puisqu'il me reconnaîtrait comme l'une des siennes. (...) mon arrivée en France m'est apparue comme le commencement d'une vie nouvelle. Mais les débuts furent bien amers. Il me semblait que la vie, telle que je l'envisageais, viendrait à moi, tout naturellement parée de ses habits de fête. (Lettres du soir du 29/01/93)

Le décor dans lequel je vivais, était à la hauteur : une chambre de bonne au 6e étage, rue du Sentier dans le IIe arrondissement, sans salle de bain, un petit chauffage, avec un hamster Dali et un lapin nain Baudelaire pour seuls compagnons; me nourrissant de lait concentré sucré, le soir et d'une tablette de chocolat noir, le jour où j'allais retirer les 10 francs de la semaine ; le chocolat était agrémenté par la lecture de Charlie Hebdo... seul extra, car il me fallait garder le reste pour le jambon-beurre-sans-cornichon-café que je prenais, tous les midis face à l'atelier de dessin, rue de Seine dans le VIe arrondissement, tenu par deux vieilles filles qui m'apprenaient le dessin, la peinture à l'huile, la vannerie, le nu, l'histoire de l'art. Je portais des chemises indiennes, un jean , des colliers artisanaux, un burnous noir marocain et des sabots suédois et sous le bras, un carton à dessin, à la main, un panier tressé à la Jane Birkin... baba cool et j'allais, me semblait-il, au devant de belles rencontres où l'art, l'intellect et le mépris pour –Les choses- de Georges Perec feraient mon quotidien.

La déception fut que je me suis retrouvée très souvent seule à avoir ce désir-là, et j'enviais Anaïs Nin, -ses amis, ses relations : écrivains, peintres, psychanalystes qui lui apportent beaucoup et l'aident à se trouver. Je regarde autour de moi... personne... J'ai besoin de ces relations enrichissantes, de rapports profonds, de l'admiration des autres que moi-même j'admire jusqu'à l'idéalisation. Pourquoi faut-il que j'amplifie tout sentiment (...) qui me mène directement à la déception, dès que je suis lucide (journal de février 76) Je ne fis aucune de ces rencontres, mes camarades d'atelier étaient gentils, mais sans culture et sans souci matériel; j'ai écourté mes études, en passant le Diplôme d'Aptitude à l'Enseignement du dessin et de la peinture, avant les autres, ayant quelques années de plus et le BAC en poche. J'entrais aux Beaux-Arts, rue Bonaparte dans le VIe arrondissement; mais là encore, la porte resta désespérément close.

Dans le monde où j'évoluais, il n'y avait ni partage, ni découverte, ni originalité, tout dans l'apparence et la superficialité; nous étions jeunes, sans doute. Alors, l'argent venant à manquer, je poussais la porte du travail, celle du monde des adultes. Et la porte se referma derrière moi...

Texte de caroline_8 et photo d'Anaïs Nin

1 commentaire:

  1. Je n’ai jamais su parler de l’écrit d’un autre, sauf peut-être dans une étape de ma vie nourrie particulièrement des romans de _SF_ qui venaient réveiller en moi des aspects si neufs et si étranges et des milliers de questionnements qu’ils m’ont valu des longs moments d’échanges avec des amis proches embarqués dans le même voyage.
    Je regarde et découvre vos _fenêtres sur la cour_ avec une immense joie, pour moi et aussi pour vous. Je suis admirative… comme dans votre carnet d’images, l’ambiance est là, s’installe. Ecrire, quelle alchimie….. !
    Je pense que le choix d’images n’est jamais anodin. Je questionne l’imaginaire et vérifie l’existence de multiples aspects de moi, souvent captés et existants… souvent niés parce que c’est difficile d’être à la taille de ce qui est perçu. Je me replie actuellement dans la physique et trouve des liens, ça me rassure et surtout ça m’incarne !
    Et le « c’est fait !» que j’ai très vite écrit, aux derniers mots de votre texte  je me suis dit que vous capteriez le lien avec _cette femme pleine d’idéal et d’imagination_ que vous semblez avoir toujours été.
    Bonne route !

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