mercredi 12 février 2014

Mieux vaut marcher sans savoir où aller, que rester assis sans rien faire. (proverbe touareg)

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Au cours du voyage... C'était un très vieux train. Du plafond bas pendait, dans le couloir de leur wagon, une rangée de lampes à pétrole qui se balançaient toutes ensembles plus ou moins violemment selon la marche.

Boussif... Boussif était une ville avec de gros patés de maisons et le marché dans le centre. Une terre d'un rouge vif couvrait les rues non pavées . (...) A l'extrémité des rues transversales, le désert désolé s'élevait lentement vers le pied des montagnes faites de rocs sauvages et nus, sans une ombre de végétation.

Aïn Krorfa... Le surlendemain soir, ils prenaient le car pour Aïn Krorfa, ayant choisi de voyager de nuit afin d'éviter la chaleur suffocante du jour. (...) De nuit, parce que les étoiles brillent dans le ciel clair, [le voyageur] a l'impression, s'il ne bouge pas, qu'il n'y a pas de poussière. Le bourdonnement régulier du moteur le berce et le met dans une espèce de transe (...) jusqu'au moment où il s'endort, pour être réveillé plus tard par l'arrêt du véhicule devant quelque bordj abandonné et sombre. Aïn Krorfa... hauts murs de boue... bâtiments blancs... les trottoirs bordés d'arcades... le Grand Hôtel...  et une nuée de mouches collantes.


Bou Noura... El Ga'a... Départ dans le soir. Un peu plus tard, le car commença de grimper laborieusement une côte raide. Les vapeurs d'essence se firent lourdes et âcres (...) Le car tressautait et oscillait en poursuivant sa courbe ascendante sur le plateau. (...) La roche avait fait place au sable. El Ga'a, ses hauts murs et ses portes que l'on ferme au coucher du soleil, ses rues sombres et tranquilles, ses grands marchés où les hommes vendent ce qui vient du Soudan et de plus loin encore: barres de sel, plumes d'autruches, poussière d'or, peaux de léopard. Hotel du Ksar... fin du voyage.

Port meurt de la fièvre typhoïde à El Ga'a. Kit se sent responsable de cette mort. Elle fuit devant son passé. Une caravane l'emporte vers Dakar.

Elle demeura immobile, le regard fixé sur la sombre et calme surface de l’eau. (…) « Fais attention, disait une part d’elle-même, sois prudente. (…) Chaque fois que je pourrais être heureuse, je me retiens au lieu de me laisser aller » Elle envoya promener ses sandales et se trouva nue dans l’ombre. (…) La vie était là, soudain, elle y plongeait, elle ne se contentait plus de la regarder par la fenêtre.
Elle se baigna longuement : l’eau fraîche sur sa peau éveilla en elle l’envie de chanter. (…) Elle finit de se baigner en silence, son exaltation était retombée : mais la vie ne l’avait pas abandonnée. « Elle est là pour toujours » murmura –t-elle, tandis qu’elle regagnait la berge.

(…) Elle marchait d’un pas vif, l’esprit occupé de ce bonheur solide qu’elle venait de reconquérir. Elle n’avait jamais douté qu’il ne fut là, tout près, dissimulé par d’autres choses, mais elle avait renoncé depuis longtemps à le tenir pour une condition naturelle de l’existence. Puisqu’elle avait retrouvé cette joie de vivre, elle se promit de s’y accrocher, au prix de n’importe quel effort. (…) Sans hésiter, elle se dirigea vers l’arbuste le plus proche et posa la valise à terre. Les branches, tout autour du tronc, balayaient le sable, formant comme une tente. Elle mit son manteau, se glissa sous les feuilles, tira la valise auprès d’elle et s’endormit aussitôt.


La jeune femme, saisie d'une espèce de délire sensuel, découvre l'amour charnel avec un jeune caravanier qu'elle se met à aimer éperdument. Peu à peu, son esprit se détraque. Elle est fascinée par l'Afrique, sa prodigalité et son pourrissement, sa vitalité et sa décadence.


Texte tiré du livre de Paul Bowles -Un thé au Sahara- et photos du film de Bernardo Bertolucci.

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