vendredi 2 septembre 2011

Le voyage avec le coeur d'un homme

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Si je n’avais pas été une femme…


J’aurais voulu naître dans la peau du grand frère qui construit des balançoires à ses deux petites sœurs, qui part dans la brousse à la rencontre de l’Afrique, un couteau attaché à sa ceinture et accompagné de son chien et qui, lors de l’incendie dans la plantation de caféiers, accompagne notre mère sur le front du feu… parce qu’il est grand, parce qu’il a dix ans.

A l’adolescence, attiré par la mer et son large infini, j’aurais embarqué sur un cargo comme Le dernier mousse, en partance pour l’Amérique du Sud ; par un heureux hasard, j’aurais fait plusieurs fois le tour du monde. J’aurais connu l’effervescence des ports de marchandises, les nuits chaudes et moites dans les bars glauques, l’excitation du départ et sa levée d’ancre, l’aspiration au vent du large et le souhait parfois qu’il soulève les vagues pour rompre l’ennui de la mer d’huile avec le risque, la peur au ventre, de finir perdu et inconnu, dans ses entrailles écumantes, appelées Naufrages.



Dans Le sillage de la baleine et âgé de vingt ans, j’aurais échoué en Patagonie, pris la Carretera Austral, longeant la côte Pacifique, l’unique route vers la Tierra del Fuego où enfin, je me serais posé et aurais construit une maison de tejuelas en bois de mélèze. Dans le vent hurlant de solitude, sous la pluie brumeuse en continu, nourri de curanto et buvant doucement le maté, avec pour seul compagnon El guanaco, j’aurais écrit des récits à la Francisco Coloane dans cette -cabane de l’écriture- A quarante ans, Le passant du bout du monde que je serais devenu, quittant Le golfe des peines, aurait hélé le premier navire s’aventurant dans les eaux du Cap Horn et filant vers la côte Est de mon Afrique bien aimée.



Au volant d’une mythique Land Rover, j’aurais sillonné la savane herbeuse et jaune de la Tanzanie tel Ernest Hemingway et j’aurais joué du fusil tout en annotant, sur les pages d’un carnet, mes exploits de tueur de fauves, de buveur de whisky sans glaçon et fumeur de havane. Au pied du Kilimandjaro, j’aurais été séduit par une photographe-reporter et, revirement inattendu mais au fond souhaité, ensembles nous aurions créé une réserve afin de protéger et notre amour et ces superbes bêtes. Ainsi le couple fusionnel que nous aurions été, unis par l’Afrique et ses animaux, aurait publiés des albums de textes et de photos qui auraient eu une belle renommée... rompue un jour, par l’impensable accident... ma photographe-reporter préférée aurait été piétinée par une charge d’éléphants lors d’un safari photos. Brisé, j’aurais fui la médiatisation de l’évènement due à mon personnage, haut en couleurs et en frasques ; j’aurais donc fui vers la côte Ouest, berceau de mon enfance… Si tu ne sais pas où tu vas, regardes d’où tu viens. Retour à la case départ.



Là, dans un village de la Casamance, dans ma case, près d’un arbre à palabres, j’aurais mené une vie d’esthète, de vieux sage qui, (…) à cinquante ans, à l'âge où bon nombre d'étoiles trop vites allumées s'éteignent, tel Ousmane Sow, je serais entré en sculpture comme on entre en religion, en palpant, en pansant, en massant longuement, jusqu'à faire venir et revenir la vie. Comme dans les anciennes sculptures africaines rituelles dont la confection passait toujours par des techniques de trempe dans la boue, de patine à l'huile ou à la cire d'abeille, et de cuisine sacrificielle, mêlant le sang et la bière. J’aurais refusé obstinément de révéler l'alliage de ma mixture. Tout comme je n'aurais guère aimé ouvrir la porte de mon atelier… Mes humaines, trop humaines créatures n’auraient pas été des simulacres, mais des énigmes. Des interrogations violentes qui auraient dansé au bord de la nuit (…) pour rejoindre la prière. (Emmanuel Daydé)


Je me serais éteint sur cette terre, très âgé et très heureux de ma belle et riche vie, avec peut être le souhait d’être dans une prochaine vie, une femme pleine d'idéal et d’imagination…

Texte de caroline_8

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